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Mais le bonheur que les Témoins de Jéhovah connaissaient à Hartzwalde ne leur faisait pas oublier les souvenirs qu’ils tenaient de leur internement. Ils furent les premiers à instruire Kersten avec précision et en détail des atrocités qui étaient en usage dans les camps de concentration. Kersten avait bien entendu parler de pratiques horribles, mais ce n’était pour lui, comme pour la plupart des Allemands, que des bruits vagues et impossibles à vérifier.
Les Témoins de Jéhovah lui permirent d’en avoir une vision nette et complète.
Ils le firent malgré la consigne de silence qui leur avait été donnée sous menace de mort et bien qu’ils eussent signé un papier à cet effet avant de quitter leurs camps respectifs. Ils passaient des nuits entières à raconter l’épouvante et il semblait qu’il n’y eût pas de fin aux tortures qu’ils évoquaient l’une après l’autre.
À l’aube, chaque fois, ils saluaient le gros docteur et disaient :
— C’est écrit dans la Bible : quand on est en grand-peine, un ange descend pour vous conforter. Cet ange, nous l’avons devant nous.
Ils s’en allaient, emplis de cette certitude triomphante.
Leurs récits obsédaient Kersten. En même temps, l’exaltation constante des membres de la secte le troublait. Ces gens qui voyaient en lui une créature céleste ne transposaient-ils pas dans le domaine terrestre les feux de l’enfer ? Il résolut d’en avoir le cœur net. Mais ce n’était pas facile. Les dires des Témoins de Jéhovah, il fallait les vérifier sans que jamais un rapprochement pût être établi entre ces informations et leur source. La moindre imprudence livrait les indiscrets au bourreau. On leur avait fait donner à l’avance leur consentement au supplice. Kersten devait donc attendre une occasion où il fût impossible, impensable d’établir un rapport entre ses renseignements sur les camps de concentration et les Témoins de Jéhovah.
Cette occasion, le docteur l’attendit longtemps. Il ne la trouva enfin qu’en Ukraine.